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| 9. HYPOTHESES
On imagine facilement le retentissement dans Paris de cette nouvelle inouïe : « Rouletabille vient d’être arrêté ! » Et quand on sut, quelques heures plus tard, de quel crime le célèbre reporter était accusé, on peut dire que toute la ville ne s’occupa plus que de ce scandale tragique. Survenant si peu de temps après le drame de Sainte-Adresse, lequel avait déjà excité singulièrement toutes les curiosités, l’affreux massacre de Passy acheva de bouleverser l’opinion publique. Les noms de Rouletabille et de Roland Boulenger étaient sur toutes les lèvres. J’ai encore devant moi les journaux qui parurent le lendemain matin. Ils étaient pleins du funeste événement. D’une façon générale, bien que l’on regrettât la disparition d’une personnalité scientifique de la valeur de l’illustre professeur, on était d’accord pour faire entendre que Roland, avec son mépris de la morale courante, était assez naturellement arrivé au bout de sa chance et l’on réservait toute pitié pour la seule victime intéressante des coups de revolver de Rouletabille : cette pauvre Thérèse Boulenger, qui certainement en mourrait, elle aussi. Quant au reporter, on ne trouvait nullement son geste condamnable dans l’état de nos mœurs. Un mari surprend sa femme avec un ami dans des conditions telles qu’il ne saurait mettre en doute la nature du rendez-vous, il supprime les deux coupables : l’affaire n’était pas neuve. Évidemment l’affaire n’était pas neuve, si elle s’était passée comme ça ! mais moi, j’étais persuadé qu’elle ne s’était pas passée comme ça !… moi qui, quelques instants avant l’arrestation me trouvais encore avec Rouletabille, moi qui me rappelais, certes ! ses propos désenchantés, mais son calme dans le désespoir, – moi qui l’entendais encore dire : « Mon malheur, je l’ai trop prévu pour qu’il déchaîne la foudre. Et puis la tuer, c’est lui prouver que je l’aime encore et c’est elle qui triomphe. Non ! Elle vivra ! Je lui dirai mon dégoût sans paraître étonné et puis je continuerai ma route en lui tournant le dos !… » – moi qui me souvenais de ces choses, je savais bien que Rouletabille était innocent de tout ce sang versé. On me dira qu’il s’était bien gardé cependant de me faire part de son passage dans la petite maison de Passy, où il était allé, de toute évidence, constater son malheur… Mais je pouvais penser que s’il ne m’en avait point parlé, c’est qu’il n’en avait pas eu le temps ! Est-ce que le commissaire de police Mifroid n’était pas arrivé juste dans le moment qu’une étreinte fraternelle nous réunissait après ces premières et atroces confidences… D’autres certainement allaient suivre. Pourquoi m’eût-il caché quelque chose ? Enfin, s’il avait commis le crime, je le connaissais assez pour savoir qu’il eût été le premier à se dénoncer. Or il niait. Aussitôt après le coup de foudre de l’arrestation de Rouletabille, je m’étais fait conduire chez Mme Boulenger. On se rappelle que j’étais avec elle chez Rouletabille à cinq heures et demie, détail d’importance car, en dépit de ce que venait de dire le substitut lequel prétendait que le crime avait eu lieu à cinq heures moins cinq exactement, il fut prouvé bientôt qu’il avait été accompli à cinq heures et demie. On se rappelle également qu’en descendant de chez Rouletabille, j’avais conduit Mme Boulenger chez le Dr Schall. Je ne la trouvai point chez elle. Je pensai qu’elle pouvait être encore chez le Dr Schall. Les événements avaient été si précipités qu’elle ne devait encore rien savoir. Je n’entrerai point dans le détail de l’heure abominable que nous passâmes. Lorsqu’elle sut enfin la vérité, elle passa trois jours entre la vie et la mort… Schall ne quitta pas son chevet et parvint à la sauver. Elle le lui reprocha, du reste. Mais du moment qu’elle n’était point morte, elle voulait vivre pour le venger ! Elle aussi était persuadée que Rouletabille était innocent. Et je savais bien où allaient ses pensées. Elles allaient où étaient déjà les miennes. L’ardeur qu’elle avait de démêler la vérité lui fit reprendre des forces avec une rapidité extraordinaire. Il faut bien dire, du reste, que cette sorte de renaissance, de résurrection était assez factice, car Thérèse ne vivait plus que par les nerfs, jetée hors de son lit par son idée fixe que je partageais et à laquelle il est temps maintenant de donner un nom : Théodora Luigi !…
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